En 2008, des bouches de métro surgissaient au milieu de terrains vides, loin de tout immeuble. Pour beaucoup d’observateurs occidentaux, ces chantiers symbolisaient l’excès et le gaspillage. La Chine suivait pourtant un calendrier urbain discret, étalé sur une ou deux décennies. En 2025, les effets visibles de ce pari d’infrastructures corrigent brutalement cette lecture naïve. Le débat sur la vision à long terme ressurgit partout.
Quand la Chine mise d’abord sur l’infrastructure
Depuis 2008, l’État inverse la logique habituelle des grandes métropoles. Le métro arrive avant les habitants, enfoui sous des terrains vagues. Les tunnels précèdent parfois de dix à vingt années l’arrivée des immeubles. Les autorités considèrent cette urbanisation comme inévitable.
Le déclic intervient avec les Jeux olympiques de Pékin. À cette occasion, le pays engage environ 40 milliards de dollars dans les infrastructures. L’élan se propage aux grandes villes, qui déroulent des milliers de kilomètres de lignes en quelques années. Certaines gares sont creusées à plus de 60 mètres sous des secteurs encore vides.
La logique financière suit cette avance du calendrier. Une étude menée à Wuhan montre l’effet d’une station isolée. Sa présence fait bondir la valeur des terrains commerciaux dans un rayon de 400 mètres. Dans cette stratégie, la Chine utilise le métro comme promesse matérialisée du futur, immédiatement monétisable pour les investisseurs.
Caojiawan, miroir des paris urbains de la Chine
En 2015, la station de Caojiawan ouvre dans le district de Beibei, à Chongqing. Ses trois accès émergent d’une friche silencieuse, sans route ni commerce autour. Quelques passagers descendent, observent les herbes hautes, puis remontent vite pour attraper un minibus et quitter ce non-lieu ferroviaire.
En 2017, des photos virales transforment ce décor en symbole du « délire urbain » attribué à la Chine. On y voit des quais vides et des escaliers qui plongent vers le néant. Un agent reconnaît qu’il accueille très peu de voyageurs, tandis que les sarcasmes s’accumulent sur un gaspillage jugé colossal.
La suite contredit pourtant ces moqueries. À partir de 2019, les routes sont achevées et les immeubles sortent de terre autour de la station. En 2020, le quartier devient fréquenté, confirmant le pari initial. Pour plusieurs urbanistes, Caojiawan et Lanzhou New Area relèvent de projets en « latence », non de villes fantômes.
Des métros surendettés face au test du réel
À Pékin, plus de 150 milliards de dollars ont été investis depuis 2002 pour un réseau d’environ 870 kilomètres. Les 28 compagnies de métro concernées cumulent 4 300 milliards de yuans de dette, soit 525 milliards d’euros. Deuxième réseau du pays en fréquentation après Shanghai, Shenzhen perd environ 100 millions de yuans par jour.
À Chongqing, les frais de personnel atteignent la moitié des coûts d’exploitation. En 2018, les autorités ont durci les règles. Elles interdisent de nouveaux métros dans les villes de moins de 3 millions d’habitants. Depuis, presque toutes les nouvelles autorisations de chantier sont gelées.
Certaines gares n’offrent qu’une seule entrée, avec des correspondances mal pensées. L’inondation du métro de Zhengzhou en 2021 a révélé des failles de conception. Le défi central consiste désormais à faire vivre ces réseaux gigantesques. Il faut améliorer le service au passager sans renier le pari urbain initial de la Chine.
Un modèle urbain qui force désormais un examen de conscience
En 2025, la controverse ne porte plus sur les stations vides, mais sur la soutenabilité du modèle. Les réseaux déjà construits imposent une discipline budgétaire, une meilleure conception et davantage d’attention au passager. La Chine rappelle ainsi que l’anticipation a un prix politique et financier. À chacun, désormais, de mesurer ce qu’il accepte d’investir pour bâtir le futur. Le débat reste ouvert entre audace et prudence.






